Medias et Communication : le choc digital
Belle audience de plus de 100BJ
Voici la présentation d'Olivier Fleurot 1971
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Bonjour à tous et merci à Manuela Rousselot, Pierre Frouin, et Jacques Monnet président de l’Amicale des anciens de Ginette, qui, je crois, a suggéré mon nom, merci donc de me donner la possibilité de revenir sur mes pas et de partager ce moment avec vous.
Je vais vous livrer quelques réflexions sur l’évolution de notre environnement économique depuis mon passage ici, ce sont des choix totalement arbitraires sur les effets de la mondialisation et la et de la révolution digitale.
J’ai eu comme une sensation de vertige en regardant en arrière, et en réalisant que je franchissais le portail du 2 rue de l’Ecole des postes, pour la première fois il y a 49 ans et je n’ai pas pu m’empêcher de me demander : mais que s’est-il passé de vraiment important pendant ce demi-siècle ?
Il faut se rappeler qu’en 1969, la France sortait à peine de la catharsis de Mai 68 qui en avait traumatisé plus d’un, en particulier dans le corps enseignant.
En janvier 1969 Richard Nixon succède à Lyndon Johnson à la présidence des États-Unis, ces deux-là ont amplifié et fait durer inutilement la guerre du Vietnam jusqu'en 1975. Une guerre qui a laissé des traces indélébiles en Asie, en Chine et aux USA.
Retour en France, en avril 1969 le Général de gaulle s’en allait et était remplacé par Georges Pompidou, après le refus des français de donner une majorité de OUI au référendum qui aurait créé les régions en France.
Cela parait incroyable aujourd’hui, voire absurde qu’un président tombe pour avoir proposé la régionalisation. Mais sans doute le sujet était-il ailleurs, comme souvent dans les référendums, et la question avait été perçue comme un « pour ou contre De Gaulle » puisqu’il avait annoncé son départ en cas de majorité pour le NON.
Le 20 juillet 1969 le premier homme mettait le pied sur la lune (Neil Armstrong, Michael Collins, Buzz Aldrin). On peut débattre sans doute longtemps sur l’intérêt d’avoir été sur la lune au-delà des considérations de l’époque sur la compétition avec l’union soviétique, mais il est certain que comme la course à l’espace exigeait une réduction drastique du poids et de l’encombrement des équipements, c’est ce qui a conduit au développement des microprocesseurs, le 4004 d'Intel est le premier microprocesseur commercialisé en 1971.
Avec 2 300 transistors (2 milliards de transistors aujourd’hui) et une puissance d'exécution d'environ 90 000 opérations par seconde à une fréquence maximale de 740 kHz3, il est comparable à l'ENIAC, qui occupe 167 m2 pour un poids total de 30 tonnes au début des années cinquantes.
En 1969, et là c’est moins drôle, la guerre du Biafra bat son plein, un blocus provoque la première grande famine très médiatisée. Le Biafra était un état sécessioniste au sud-est du Nigéria. Cette guerre entraine une modification de l'aide humanitaire qui prône une ingérence directe pour venir en aide aux réfugiés, utilisant la médiatisation intense du conflit, à la faveur du développement du photojournalisme,. Elle aura pour conséquence la création de Médecins sans frontières en 19712. Je vous en parle parce que les photos de cette famine avaient fortement marqué à l’époque, même dans la bulle de Ginette.
Il s’est évidemment passé beaucoup d’autres choses en Asie, en Afrique et en Amérique latine cette année-là. J’ai fait une sélection très personnelle.
Et je ne vais pas égrener les années de 1969 à nos jours, comme on égrène un chapelet. Plutôt je vais m’engager et partager avec vous ce que je crois être les deux grandes tendances, deux lames de fond qui ont transformé nos sociétés et nos vies au cours de ce demi-siècle. Lames de fond qui continuent à faire sentir leur effet aujourd’hui et pour plusieurs décennies encore.
La première s’appelle parfois mondialisation, parfois globalisation, très décriée par certains qui y voient l’origine de nos maux et d’un écart croissant des richesses, entre les pays eux-mêmes et à l’intérieur même d’un pays (Thème cher à l’économiste Thomas Piketty).
Pour illustrer ce point je reviens sur la période du début des années 80 lorsque j’étais journaliste, notamment au quotidien Les Echos. L’univers économique dont nous parlions était en fait limité aux économies « ouvertes » de l’époque, c’est-à dire l’Amérique du Nord, l’Europe de l’ouest, soit une douzaine de pays, et le Japon. C’est tout. Le reste était très peu commenté par les journalistes.
Le bloc soviétique vivait en vase clos, on pensait que sa locomotive industrielle était l’Allemagne de l’Est, on a vu après la chute du mur que c’était une illusion. La Chine commençait tout juste son ouverture, les entrepreneurs y étaient exclus du parti, l’Inde était une économie administrée sur le modèle soviétique et fermée aux entreprises étrangères. Quand on parlait des pays d’Amérique du sud c’était surtout pour évoquer les coups d’état. L’Afrique, après les traumatismes de la décolonisation, paraissait bien mal partie comme l’avait écrit René Dumont (L’Afrique noire est mal partie, livre référence encore abondamment discuté) cet agronome qui d’ailleurs avait été le premier candidat écolo à la présidence de la République en 1974.
Donc ce qui s’est passé entre le milieu des années 70 et aujourd’hui, c’est que, en une période relativement courte, 4 à 5 milliards de personnes qui vivaient en vase clos, ont émergé sur la scène internationale, sont sorties de leur isolement, et se sont mis à devenir des acteurs de la production et du commerce international. Cela a créé les conditions d’une concurrence effrénée dans tous les domaines. Bien sûr pendant ce temps, ici, on construisait, non sans mal, l’Union Européenne, accompagnée de la zone Euro.
La finance est devenue globale, fonctionnant en 24/7, et échappant grandement aux contrôles des états comme la crise financière de 2008 l’a montré. C’est évidemment le plus grand choc économique et culturel que l’on pouvait imaginer. Et la globalisation, qui a permis de sortir beaucoup de gens de la pauvreté extrême, nous réserve encore quelques surprises : par exemple, la population africaine va doubler en une génération, passant en gros de 1 milliard à 2 milliards, c’est le seul continent qui va connaitre une telle explosion démographique au cours des trente prochaines années. Les Etats africains sauront-ils mettre en place la gouvernance et l’environnement économique, les infrastructures nécessaires pour nourrir et donner du travail à cette jeunesse.
Une autre question concerne le sort des démocraties. Avec une certaine arrogance, le petit nombre de pays dont je vous parlais tout à l’heure et qui dominait la sphère économique il y a cinquante ans pensait que son modèle de gouvernance, la démocratie parlementaire devait s’imposer à tous.
Après l’effondrement de l’URSS, tout le monde pensait que les démocraties avaient gagné la bataille. Vraiment ? Si on regarde objectivement le monde d’aujourd’hui : comment décrire les régimes de la Russie, de la Turquie, de la Chine ? Des démocraties ? Surement pas. Si les tendances actuelles se poursuivent, peut-on déjà affirmer que la Chine dominera la seconde moitié du 21 eme siecle comme les Etats-Unis ont dominé la seconde moitié du 20 eme siècle ? A débattre.
Mais passons à la deuxième vague de fond, celle qui transforme nos vies et nos sociétés en profondeur : la numérisation du monde. Cette capacité croissante à enregistrer, analyser , sous forme numérique tous les phénomènes physiques et surtout tous nos faits et gestes, grâce à internet et au web.
Je vais vous parler du secteur que je connais bien, les médias et la communication, le marketing. Mais ce que j’ai pu observer dans ces domaines touche progressivement toutes les activités.
Le premier secteur à avoir été profondément transformé est celui de la musique et ce qui s’y est passé depuis 1999 est en train de se reproduire dans la presse écrite, à la radio, à la télévision, etc…
Il y a vingt ans régnait un oligopole confortable entre les 4 majors de la musique. Des jeunes mettent au point une technique d’échange de fichiers MP3 en peer-to-peer en 1999. L’industrie se sent menacée et les fait interdire. Puis Apple comprend l’intérêt de cette technologie et renverse l’ordre établi une première fois avec iTunes et l’iPod, et facture les chansons à l’unité, 99 cents à l’opposé des disques qui forcent à acheter 15 ou 20 chansons.
Le modèle économique est remis à nouveau en question par les Deezer et Spotify qui proposent un abonnement mensuel de 10 dollars, pour une consommation sans limite de toute la musique du monde…
Les leçons de cette révolution dans la musique sont valables pour beaucoup d’autres secteurs :
- Quand apparait une nouvelle technologie qui remet en cause les positions acquises, mieux vaut s’interroger sérieusement sur son potentiel au lieu de la faire interdire
- Le concurrent de demain peut venir d’un univers très éloigné de votre secteur (Apple n’avait rien à voir avec la musique à priori, Google et Tesla n’étaient pas considérés comme des concurrents par les constructeurs automobiles jusqu’à ce que le premier devienne le champion de la voiture autonome, le second le champion de la voiture électrique et connectée)
- L’utilisateur ira toujours vers la simplicité, la facilité d’usage, l’interface intuitive et « user-friendly ». Ce paramètre la simplicit est souvent oublié dans les projets.Exemple de la page d’accueil de Google.
- Quand on passe du monde analogique au monde numérique, la chaine de la valeur est modifiée et beaucoup d’acteurs de la chaine traditionnelle doivent soit retrouver une place, souvent assez différente, changer de métier dans l’univers numérique, soit disparaitre. Exemple des agences de voyages, des libraires, des agences bancaires, etc…
- Se convaincre que l’intelligence artificielle et le « machine learning » vont bouleverser beaucoup de métiers…notamment ceux à faible et moyenne valeur ajoutée.
- Quand un secteur est touché par la digitalisation, il commence une transformation qui peut prendre une dizaine d’années, parce que les vagues d’innovation se succèdent à un rythme rapide.
- En très peu de temps l’économie numérique a créé des monstres : les capitalisations boursières de Google (plus de 1000 mds) , de Facebook (540 mds), d’Apple (920 mds), leur permettent de racheter les innovateurs, au passage trente ans de pensée unique des investisseurs sont mis à mal. Aujourd’hui Disney 150, Comcast 145…
Que va-t-il se passer pour les journaux, les magazines et les médias en général ?
- Le phénomène le plus important qui a bousculé les modèles économiques est qu’on est passé d’un secteur « capital intensive » qui exigeait de gros investissements pour diffuser l’information (les Echos, le FT encore plus : rotative, voitures, points presse ou kiosques) à des coûts de distribution qui tendent vers zéro. C’est un point clef : tout individu qui a des choses intéressantes à dire peut les diffuser à une audience très large à un cout dérisoire, et sans passer par les médias traditionnels, qui ont été désintermédiés. Sur LinkedIn, Richard Branson a plus de 14 millions de « suiveurs », Bill Gates plus de 16 millions. Ceci est vrai pour l’audiovisuel grâce aux applications qui permettent à chacun de diffuser du Live (Periscope), etc
- Une des conséquences de ce « low cost » généralisé est que le rôle de « gate keepers », de centre de tri des médias
- Jusqu’à très récemment, pour toucher plusieurs fois leur cible lors d’une campagne de publicité, les marques faisaient faire des plans médias qui combinaient presse écrite, radio, télévision, et affichage. Aujourd’hui certaines plateformes comme Facebook et Google qui captent 75% des dépenses online offrent, toutes seules, toute la puissance nécessaire et bien plus.
- Les médias traditionnels n’ont pas assez investi dans le recueil de données et la connaissance de leur lecteurs, téléspectateurs ou auditeurs : le big data est l’apanage des plateformes, FB, Google, mais aussi Instagram, et Twitter.
- Après la musique, les livres, la presse écrite, c’est au tour de la télévision et du cinéma d’être attaqués en même temps par Netflix, qui a adopté le même modèle économique que Spotify : abonnement mensuel, logiciel de recommandation et libre-service dans une videothèque énorme. C’est le royaume du binge watching, du visionnage à outrance : vous n’êtes pas obligés d’attendre qu’une chaine de télévision programme les prochains épisodes de votre série favorite, vous pouvez voir et revoir vos films préférés comme bon vous semble. Netflix va investir 8 milliards dans les contenus originaux cette année. Aucune chaine ne peut suivre…Game over.
- Clairement il ne reste que deux solutions pour les médias traditionnels qui ont perdu la bataille de l’audience :
- Soit ils trouvent un « business model » durable en ne comptant que sur la vente des contenus, comme le canard enchainé ou mediapart qui n’ont jamais compté sur des recettes publicitaires. Et dans la masse grandissante d’informations et de contenus diffusés tous les jours sur les grandes plateformes la clef est de se distinguer, d’adopter un positionnement très différenciant.
- Soit, ils sont rachetés par des mécènes pour qui la rentabilité économique du média n’est pas le critère le plus important (Bezos a acheté le Washington Post pour 250m de dollars, plus pour faire son lobby à Washington que par intérêt financier). Intéressant de voir au passage que Business Insider, créé en 2009 seulement, un « pure player » d’actualité économique et financière qui n’a jamais existé que sur le web, est déjà qualifié d’une audience supérieure à celle du Wall Street Journal aux Etats-Unis, et a été valorisé 400 millions de dollars lors de son rachat par Springer.
Un aperçu rapide de la transformation d’un groupe de communication : Publicis.
Voila, je vous remercie pour votre patience…et j’ai hâte de répondre à vos questions, d’écouter vos commentaires…
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