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05 Novembre 2024

Un ancien professeur de retour à Ginette

 

« Révision de vie dans l’esprit ignatien » avec François Chédeville lors de la rencontre Revivre Ginette le 19 octobre 2024

 

Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse ?

 

A 80 ans, François Chédeville se sent l’âme d’un jeune homme de 25 ans et vient de fêter ses 60 ans de mariage avec son épouse Marie-Claire.

 

 

 

Quelle rencontre passionnante avec François Chédeville, professeur de culture générale à Ginette de 1967 à 1970, puis colleur jusqu’en 1975. Un parcours de vie exceptionnel, une passion pour la transmission et une curiosité intellectuelle sans limites : François Chédeville nous conta l’art de mener plusieurs vies en parallèle, sans jamais épuiser son goût pour la recherche, l’expérience et l’analyse. Et anima un débat nourri avec l’assistance, particulièrement intéressée par sa vision comparative des cultures d’entreprise.

 

Comment devient-on un spécialiste reconnu de Cezanne, après avoir mené une vie d’enseignement, de recherche puis de conseil en entreprise ? Comment devient-on transmetteur des enseignements ignatiens après avoir débuté sa vie athée et trotskiste ? Quel rôle déterminant joua Ginette dans ce parcours de vie ?

 

 

François Chédeville naît à Carmaux en 1944 dans un milieu modeste : il admire le travail de son père ouvrier, devenu ingénieur à force d’engagement personnel. Lui-même s’affirme grâce aux études supérieures et à ses facilités intellectuelles, sources d’un besoin de vision globale. François Chédeville démontre en effet rapidement qu’il combine l’esprit mathématique avec une ouverture intellectuelle maximale : il obtient à l’ENS son diplôme d’études supérieures en nourrissant de statistiques son analyse du manuscrit B de la chanson de Guillaume d’Orange, un texte du 14ème siècle.

 

François Chédeville conserve de son vécu initial de pauvreté deux enseignements à destination des jeunes Alumni : 1) mesurez votre chance et ayez de la gratitude envers vos parents qui vous ont permis par les études d’échapper à la condition ouvrière et de vous inscrire dans la lignée de ceux qui veulent améliorer les choses 2) ayez beaucoup de respect et d’humilité devant l’intelligence capitalisée dans le moindre processus industriel, qui donne le vertige quand on pense à la longue lignée de tous ceux qui, dans la longue série du temps, ont appliqué leur intelligence pour créer cela !

 

 

Ses études à l’ENS et un parcours d’enseignement à l’Éducation Nationale, puis à Ginette, offrent à François Chédeville une vision comparée de différentes structures éducatives.

 

Il nous en livre l’analyse selon deux axes : la recherche de l’efficacité et l’attention au bien-être des personnes.

 

Si l’ENS se caractérise par un environnement très stimulant intellectuellement, pour François Chédeville, il s’agit d’un univers régi par une certaine violence : l’ENS rassemble des individus en affirmation personnelle permanente, c’est un lieu où chacun définit ses propres règles de vie et où règne un grand désordre, après la discipline des prépas. « Tout le monde se pense à gauche et la controverse intellectuelle consiste à ridiculiser l’adversaire ». L’Éducation Nationale, par contraste, n’est pas régie par la recherche de l’efficacité, il n’y a pas de structure, pas de projet collectif, l’administration est l’ennemi, cependant les adultes sont en position de supériorité institutionnelle, dominants face aux enfants, et ne se confrontent pas à la complexité de la vie en entreprise, d’où une posture générale de donneurs de leçons. « L’enfer pour moi serait d’être condamné à vivre mon éternité en salle des professeurs ! » Idem concernant l’univers hospitalier, que François Chédeville pratique à Garches pendant 10 ans, dans le cadre de la mise en place de programmes d’enseignement assistés par ordinateur à destination d’élèves en souffrance physique ou cérébrale. Il y découvre certes un souci du bien commun et de l’exigence (ne pas réduire l’élève à son handicap), mais les professeurs sont incapables de se fédérer sur un projet partagé, par excès d’individualisme selon lui. De plus, la violence hospitalière le déstabilise, au point de le faire pleurer d’impuissance devant ses élèves. Blanche de Castille lui offre une expérience plus positive, car cette école est portée par un projet commun et l’attention aux élèves est réelle.

 

Quant à Ginette, elle représente pour François Chédeville la rencontre d’une institution complexe et cohérente. Ouverte à la différence, comme le prouve son recrutement : le père Étienne Garin s.j., préfet des études, le fait en effet venir à Ginette pour apporter une vision de gauche face à Denys Acker, positionné à droite. Un challenge qui l’amuse, source d’échanges intellectuels très féconds et d’une amitié de toute une vie.

 

Ginette, c’est une communauté fondée sur l’adhésion libre à un système de relations collectives, appuyées sur un consensus autour de valeurs :

  • Structure et organisation : règles de vie collectives créant des rythmes de vie apaisants par leur régularité et leur prédictibilité.
  • Rites intégrés au quotidien donc structurants.
  • Système exigeant mais non oppressant : liberté de penser et d’échanger sans contrainte, dont le recrutement de François Chédeville était la preuve.
  • Relations saines : un certain souci du bien-être commun et des autres.
  • Solidarité de groupe des prépas aux membres solidaires dans le désir de vivre ensemble et de progresser, effet renforcé par l’internat.
  • Un niveau d’intérêt des élèves identique à celui de la fraîcheur des classes de 6è .

 

Il existe un réel souci de faire communauté entre professeurs et avec les préfets des études, et un réel souci de chacun pour les élèves. La liberté des élèves et le respect de l’interlocuteur prévalent. Comme nous le dit François Chédeville : « Je fais l’expérience d’un corps social sain et fonctionnel protecteur des individus et au pouvoir non structuré par la violence. Celle-ci est dans la tâche, sous la forme d’une exigence sans concession pour atteindre le résultat visé (intégrer une grande école), pas dans la relation. » En synthèse, « Ginette me donne la matrice de ce que je chercherai ensuite à promouvoir dans l’entreprise ».

 

 

En parallèle, François Chédeville suit un parcours spirituel inspiré par le discernement ignatien.

 

Ginette sera pour François Chédeville une expérience fondatrice, non seulement à titre professionnel, mais également à titre personnel.

 

En 1972, il vit une crise intérieure : ni la vie intellectuelle, ni la vie de plaisir immédiat (ambiance Peace & Love post 68 en communauté hippie et dans une secte, « Vous n’imaginez pas à quel point la jeunesse était grise sous De Gaulle ») ne suffisent à compenser les souffrances et les drames qu’il engendre autour de lui par ses comportements ; ce qui en détruit le sens.

 

Sa relation très positive à Ginette le met en confiance pour demander conseil au père Garin s.j. : « Faire ce que je désire me conduit à n’être pas celui que je veux être. As-tu quelque chose à me proposer ? » Le père Garin s.j. lui suggère une retraite spirituelle auprès de la communauté monastique bénédictine de La Pierre-qui-vire, dans le Morvan. Qui le percute, le fait entrer dans le silence et lui permet de faire l’expérience mystique de la Présence divine.

 

En découlent 10 ans de psychanalyse, afin de valider son ressenti spirituel et discerner, dans ce qu’il vit, ce qui est de l’ordre spirituel ou de l’ordre psychologique névrotique. Cette aventure le remet « debout en tant qu’être pourvu d’une affectivité en état de marche, capable de gérer à la fois son vécu émotionnel et ses relations aux autres ». Il se forme aussi à l’écoute de soi et à celle des autres et à la relation d’aide, d’où son engagement pendant une dizaine d’années dans une activité parallèle de psychothérapeute. Il abandonne cette voie en 1985, persuadé que, sans une formation médicale complémentaire, il ne peut maîtriser tous les aspects des états psychologiques des patients.

 

Deux ans après la Pierre-qui-vire, le père Garin s.j. lui propose de suivre une formation au discernement selon la pensée de Saint Ignace, qu’il présente comme une démarche complémentaire, permettant de ne pas se noyer dans un point de vue uniquement psychologique sur soi. Le fait que François Chédeville ne soit pas croyant au sens chrétien n’importe pas. Il suit donc deux ans de formation au sein de petites communautés de partage, avec des rencontres régulières lors de réunions de partage de vie, de type alcooliques anonymes, mais marquées par une vie de fraternité dans laquelle les liens entre les participants deviennent des liens pour la vie. Tout cela ponctué de week-ends mensuels d’enseignement. Vers la fin de cette formation, François Chédeville adhère à l'Église catholique et se convertit, non sans avoir exploré entretemps la philosophie bouddhiste : « Le père Garin s.j. avait bien réussi son coup ! »

 

Parcours spirituel de François Chédeville

 

Premières années athées, engagement politique à l’UNEF (Union Nationale des Étudiants de France) puis à l’OCI (Organisation Communiste Internationaliste) jusqu’en mai 1968

Appartenance à une communauté hippie

1972 : retraite spirituelle à l’Abbaye de la Pierre-Qui-Vire, qui sera fondatrice

Expérience personnelle de la Présence

1973-1985 : psychanalyse et activité de psychothérapeute (analyse transactionnelle)

1974-1975 : formation au discernement ignatien et baptême catholique

1975-1985 : engagé dans le Renouveau charismatique avec le père Garin s.j., formation de pasteurs du Renouveau au discernement spirituel selon l’esprit ignatien, accompagnement de communautés et de personnes

1980-1985 : formation au discernement de pasteurs de l’Eglise Réformée de France

 

Par la suite, le père Garin s.j. lui propose de monter avec lui-même et deux religieuses un cycle de formation au discernement pour les pasteurs des groupes de prière du Renouveau charismatique. Ils enregistrent un enseignement sur cassettes que les groupes en formation étudient entre eux, avant des sessions de week-end où ils débriefent le tout. En même temps, le père Garin s.j. lui confie certaines personnes pour de l’accompagnement spirituel, c’est-à-dire une aide pour déchiffrer leur expérience et conduire leur vie selon l’Esprit. Ce qui amène également François Chédeville à assurer le même service d’accompagnement pour des communautés de vie chrétiennes cherchant à discerner la meilleure façon de vivre au fil du temps leur vocation propre : laïcs engagés dans une démarche commune d’accueil de handicapés, de cafés chrétiens, notamment.

 

Son travail psychanalytique se révèle bien utile dans ces missions, car il l’aide à distinguer le monde du spirituel du monde des besoins et désirs. Il est tellement facile de prendre ses désirs pour des appels de Dieu. Tellement facile de prendre prétexte du pardon de Dieu garanti pour ses fautes pour ne pas avoir à les assumer, les minimiser, voire les transformer en vertus.

 

Il vit également l’humilité devant la complexité du vécu humain et le mystère de la profondeur des êtres. « Les gens valent plus ou mieux que ce qu’ils pensent ou disent, ou croient. » Et se rend compte de ses propres limites : au lieu d’écouter, projeter son propre ressenti sur ce qu’on vous raconte, ne pas oser parler quand il le faudrait ou parler trop quand il faudrait se taire.

 

François Chédeville est ensuite sollicité par l’Eglise Réformée de France pour aider l’équipe dirigeante à formuler de façon claire les critères de discernement à mettre en œuvre pour la reconnaissance de la vocation de pasteur. « Saint Ignace chez les réformés, c’était pittoresque… » Puis il met en œuvre plusieurs sessions de formation d’une semaine desdits pasteurs sur divers thèmes, tels que l’estime de soi. Il cesse ces activités en 1985, lorsque l’orientation de sa vie dans une seconde carrière en entreprise exige qu’il s’y livre pleinement.

 

 

Une seconde carrière de consultant-formateur en entreprise, au service de l’humain.

 

En 1977, François Chédeville amorce le virage vers une seconde carrière de consultant-formateur en entreprise, qu’il mènera de façon trépidante jusqu’en 2006.

 

Animer des séminaires face à un public adulte est pour François Chédeville un saut dans l’inconnu. Il n’a que sa parole pour convaincre, en la fondant sur la pertinence, l’efficacité potentielle et la possibilité de mise en œuvre réelle et concrète de ce qu’il propose. « L’enseignement en prépa à Ginette a été une bonne introduction à ce type de rapports non dissymétriques ». Il fait aussi l’apprentissage de la dynamique des groupes, de la gestion des personnalités diverses qui les composent, de la variété des formes d’institutions et de leur fonctionnement, un travail ethnologique en quelque sorte.

 

En 1983, il crée la société 1+1 Consultants avec un ami et rassemble plusieurs amis au sein d’une structure commune en réseau, dotée de règles originales : universités réciproques, système d’actionnariat mobile selon lequel, plus l’on fait travailler les autres, plus l’on participe au capital. En parallèle, il se forme aux techniques d’organisation et aux rudiments de la stratégie d’entreprise en participant à des études menées par un cabinet de conseil formé par d’anciens McKinsey. En 1985, il quitte l’Éducation Nationale, conquis par l’aventure et gagnant mieux sa vie dans son nouveau métier.

 

François Chédeville applique dans l’entreprise ce qu’il a vécu à Ginette : il recherche l’optimisation du fonctionnement et des procédures, tout comme des conditions humaines permettant de faire de l’entreprise un lieu que ne régulerait pas habituellement la violence. Il le vit comme sa « façon de porter le message évangélique et d’être au service de l’humain » et gagne une stature d’homme debout, à force de gérer confrontations et complexité.

 

Il met à profit ses acquis en psychologie pour proposer des approches innovantes en matière de politiques RH (mise en œuvre de l’entretien annuel, par exemple), d’organisation (mise en place de cercles de qualité et de démarches de progrès, réorganisation des services à partir de la redéfinition des missions et des fonctions individuelles et collectives) et de gouvernance (entreprises à missions).

Parcours professionnel de François Chédeville

 

Formation

• École Normale Supérieure

• Agrégation de Lettres Modernes

• Maîtrise d'Informatique

• Psychologie

 

1964-1985 : Enseignant et chercheur à l’Éducation Nationale et dans l’enseignement privé 

•      Professeur de Lettres

  • Sainte-Geneviève : 1967-1970 : professeur de culture générale en prépa HEC puis en classes préparatoires à St Cyr et Navale ; jusqu’en 1975 : colleur

• Chargé de recherche à l’INRP (Institut National de Recherche Pédagogique), directeur de Collection au CNDP (Centre National de Documentation Pédagogique) : introduction de l’enseignement assisté par ordinateur dans l’enseignement des Lettres

 

1978-2006 : Consultant et formateur dans les secteurs public et privé

• Conseil en management

• Conseil en communication

• Formateur en management et communication

• Toutes industries (Sidérurgie, Mécanique, Automobile, Chimie, Pharmacie, BTP, Électricité, Électronique, Industrie pétrolière, Informatique) ; Grande Distribution ; Services (centres de gestion, cabinets de conseil) ; Organismes publics (EDF, France Telecom) ; Ministères (Industrie, Éducation, Santé)

 

Depuis la retraite : activité de chercheur dans le domaine artistique, spécialiste de Cezanne

 

 

« Je travaillais comme un fou, en représentation 5 jours par semaine et souvent 4 semaines par mois sans dételer. Chez PSA, pendant 20 ans, 8 000 cadres ont été formés, depuis l‘étage des Directeurs jusqu’aux Jeunes Ingénieurs et Cadres nouvellement recrutés, avec pour mission de leur expliquer l’entreprise et ses valeurs : ma vision totalement transversale du Groupe faisait de moi celui qui en connaissait le mieux la culture profonde. »

 

 

Une retraite très active, consacrée à l’art et à la réflexion philosophique

 

Après une première année de retraite consacrée au repos, sans agenda ni téléphone, François Chédeville décide de renouer le contact avec le monde de la sensibilité littéraire, de la poésie, de la contemplation. Et avec la philosophie comme discipline de pensée : relire les grands auteurs avec le poids de l’expérience vécue élargit considérablement le champ de pensée qui, dans la vie professionnelle, reste fondamentalement centré sur le présent à gérer. « La vie professionnelle, cela assèche la sensibilité et limite l’intelligence globale. »

 

La retraite devient donc le temps privilégié pour élargir son champ de conscience et sa réflexion sur la condition humaine. Qu’est-ce qu’être homme sur cette planète ?

  • dans le temps : intérêt pour l’histoire des grandes civilisations, de leur fin notamment : qu’est-ce qui les tue ?
  • et dans l’espace : comment les hommes ont-ils formalisé leur présence sur terre ? D’où l’ethnologie, avec la découverte des Hopis et des aborigènes.

 

« Et bien sûr, l’art est totalement absent de la vie professionnelle, sauf sous ses aspects utilitaires. » Un jour, François Chédeville visite une exposition de peinture et vit le choc de la tristesse ressentie à travers l’œuvre de Cezanne. Selon sa logique personnelle, qui consiste à « toujours faire le tour des choses pour les comprendre », il crée une base de données des œuvres de Cezanne, puis élargit cette base de données à toute la peinture (300 000 œuvres) et à la photographie (30 000 œuvres). Il développe une approche statistique de l’œuvre de Cezanne, s’attache à localiser le lieu où chaque toile a été peinte et reconstitue les salles du Louvre sous le Second Empire pour comprendre quelles œuvres Cezanne a choisi ou non de copier.

 

En 2006, il rejoint la Société Cezanne. Il prend en charge le site internet, y publie plus de 80 études, ainsi que plusieurs livres[1].

 

 

Illustration des recherches de François Chédeville autour du mystère Cezanne : son analyse d’une copie d’un Delacroix par Cezanne.

 

 

Cezanne a beaucoup copié Delacroix qu’il considérait comme le plus grand maître après Rubens et les Vénitiens. Aussi n’est-on pas surpris de compter plus d’une cinquantaine de copies de ses œuvres.

 

 

 

A gauche : Delacroix, « Bouquet de fleurs » - H. 0,65 m ; L. 0,654 m, Salon de 1849

Aquarelle, gouache et rehauts de pastel sur croquis au crayon noir sur papier gris, sur deux feuilles d'inégale grandeur. Selon le testament de Delacroix, cette aquarelle représente des fleurs « comme posées au hasard sur un fond gris »

A droite : copie par Cezanne du tableau de Delacroix, qui lui a été offert par Vollard en janvier 1902

 

Chez Delacroix, nous observons une structure en envol : du fait des contrastes entre l’arrière-plan et le bouquet, les fleurs de gauche de son bouquet deviennent très lumineuses, formant une guirlande descendante avec en ses deux extrémités des fleurs blanches. Il se forme un arc de cercle dont la flèche est supportée par les trois dahlias jaunes qui viennent porter la lumière par leurs couleurs bien distinctes sur le fond éclairé. Le mouvement général du bouquet est un envol vers le haut à droite selon un axe oblique orienté du bas à gauche vers le haut à droite. Les fleurs rouges accompagnent cette structure en élévation. Le mouvement oblique s’élève ainsi de l’ombre à la lumière.

 

Voyons la copie de Cezanne de plus près. Que nous dit-elle ?

 

 

 

 

Chez Cezanne, la structure du bouquet de Delacroix est abolie :

Luminosité du fond transformée, éclairage modifié. On a l’impression qu’on est passé d’une vue de dessus à une vue de côté.

 

Sur le plan de la représentation

Liberté par rapport au réalisme : le tableau de Delacroix se caractérise sur le plan de la forme par une exactitude des détails qui rend chaque fleur, chaque élément végétal lisible et identifiable. Rien de tel chez Cezanne qui transforme chaque fleur en une boule de couleur indistincte et noie dans des taches de couleur toutes les fleurs secondaires du bouquet de Delacroix. On comprend désormais que Cezanne manifeste une suprême liberté quant au réalisme des représentations, cf. les Montagne Sainte-Victoire vue des Lauves : « Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude. », « Plus la couleur s’harmonise, plus le dessin va se précisant. » C’est la couleur qui donne la forme, non le dessin.

 

Sur l’harmonie colorée

Sur le plan de l’équilibre des couleurs, on passe d’un patchwork très varié de couleurs multiples chez Delacroix à une mise en valeur de quelques taches lumineuses se détachant sur un fond de bouquet presque homogène constitué de variantes multiples de bleu virant au violet par endroits.

 

« Peindre, ce n’est pas copier servilement l’objectif : c’est saisir une harmonie entre des rapports nombreux, c’est les transposer dans une gamme à soi en les développant suivant une logique neuve et originale. » Paul Cezanne

« II n'y a ni peinture claire ni peinture foncée, mais simplement des rapports de tons. Quand ceux-ci sont mis avec justesse, l'harmonie s'établit toute seule. Plus ils sont nombreux et variés, plus l'effet est grand et agréable à l'œil. » Paul Cezanne

François Chédeville souligne que Cezanne fait ici allusion à sa méthode de construction, qu'il appelait modulation : une harmonisation discontinue obtenue par des rapports d'éléments juxtaposés ou superposés.

Comme l’exprime également Fry, « la peinture de Cezanne ressemble de plus en plus à l’aquarelle à la fin, du fait que les touches dans leur autonomie forment un ensemble semblable au phénomène de la cristallisation qui se répand à travers une solution liquide. » (Fry, Le Développement de Cezanne, 1926)

 

 

En conclusion, la puissance de la copie tient finalement à la grande simplicité de son parti-pris de composition et d’harmonie colorée. C’est le grand Cezanne de la fin qui s’exprime ici avec toute sa puissance.

 

Copie ? Non. Interprétation ? Non plus, car l’œuvre de Cezanne ne se réfère que de façon totalement superficielle à celle de Delacroix. Elle fait quelque chose de totalement différent :  on ne peut pas faire plus différent que l’œuvre et son origine. Tout en conservant quelques éléments de la forme extérieure du modèle, Cezanne est extraordinaire dans sa façon de s’en écarter délibérément, une fois qu’elle a servi de déclencheur pour sa propre recherche d’expression de ses sensations et de son tempérament, par ses techniques propres.

 

François Chédeville nous donne rendez-vous en juin 2025 à Aix pour une grande rétrospective, lors de laquelle plus de 100 œuvres de Cezanne seront exposées : une véritable gageure compte tenu de la valeur et de la difficulté de faire voyager ces œuvres.

 

 

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,

Simple et tranquille.

(Paul Verlaine, Sagesse, 1881)

 

Sophie Gautié

SG 81-83, HEC 83

 

 


[1] La Figure humaine dans l’œuvre de Cezanne, Cezanne Jas de Bouffan - Art et histoire, Cezanne sur les bords de la Marne.

Ses prochains livres paraîtront en décembre 2024 : Madame Paul Cezanne - Hortense - La vérité humaine d’un couple, et en février 2025 : Cezanne et la Sainte-Victoire.

 

 

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